Accueil | Le thème du numéro | Jiyu Kennett | Aoyama Roshi | Articles - nouvelles | Livres et films | Contributions | Courrier

Bouddhisme au féminin - Partageons nos aspirations, nos questionnements, nos compréhensions

 

 

Nonnes zen japonaises au XXe siècle par Jade Reilly

 

Nombreux furent les sujets de doléances des nonnes zen à l’aube du XXe siècle. Selon la réglementation de la tradition Soto, les femmes devaient porter uniquement la robe noire des novices ; elles n’avaient accès à aucun enseignement, fût-il laïque ou monastique ; elles ne pouvaient ni diriger un temple ni participer aux prises de décisions concernant leur tradition ; et leur formation de nonne était bien plus longue que celle de leurs homologues masculins, parfois trois ans de plus.

Conscientes de l’aspect inéquitable de leur position, les nonnes japonaises choisirent néanmoins d’exprimer leur gratitude face à cette injustice qui leur offrait la possibilité de « polir la pierre », d’approfondir leur pratique et d’agir.

À partir de 1880, l’ère Meiji insuffla un vent de modernisation dont les courants de tradition et d’occidentalisation allaient créer maints remous et divergences dans le zen. Le gouvernement Meiji permit aux nonnes et aux moines de se marier. Les nonnes, qui n’avaient pas le droit de participer pleinement à la vie religieuse de l’école Soto, décidèrent de revenir à la tradition de Dogen et de renforcer son enseignement égalitaire du système monacal. Elles y puisèrent une stratégie de reconnaissance et les moyens de modifier les structures du pouvoir.

Quant aux moines, ils n’avaient nul besoin d’établir leur propre légitimité au sein de l’école Soto. Pour eux, il importait avant tout d’être modernes, de prouver qu’ils avaient toujours leur place dans une société en mutation. Ainsi, ils se firent prêtres chargés de famille : ils se mariaient et consacraient peu de temps aux monastères, élevant des enfants qui deviendraient plus tard les héritiers de leurs temples, une pratique encouragée par le gouvernement. Pour ces prêtres moines, il n’était pas question de faire fuir les laïcs avec le zazen ou les rigueurs de la vie monastique.

Cette modernisation de la vie monastique a pu faire croire que le zen de Dogen n’existait presque plus au Japon. C’est ignorer les monastères de nonnes de la tradition Soto, qui constitue la plus grande et la plus organisée des écoles de nonnes, avec mille femmes ayant reçu l’ordination et trois monastères de formation. Ces femmes continuent à porter la robe et à se raser la tête parce qu’elles se sont tant battues au cours des cent dernières années pour être traitées selon les directives de Dogen et pour obtenir l’égalité dans la vie monastique.

Dans le Zuimonki, Dogen disait : « Aucun moine, aucune nonne ne peut l’atteindre [Bouddha, Dharma] à moins d’avoir l’esprit de celui ou celle qui a quitté la maison. Un moine ou une nonne qui a l’esprit d’un laïque a deux fois plus de défauts. Leur attitude devrait être très différente. »

Pour celles qui revendiquaient un statut d’égalité pour les femmes, l’éducation constituait le principal obstacle. Hori Mitsujo, Ando Dokai, Yamaguchi Kokan et Mizuno Jorin créèrent donc un petit temple à Nagoya en 1904 afin de former des femmes à la pratique du zen et à l’éducation des laïcs. Elles revendiquaient ce droit en s’appuyant sur le titre de ni-osho (préceptrice bouddhiste) que leur avait décerné le responsable d’Eihei-ji – et ce, malgré les réglementations –, en raison de leur pratique qui était tout à fait exceptionnelle.

Ces quatre femmes, aussi intelligentes que dévouées, étaient très soutenues par leurs familles. Elles avaient établi leur temple à la campagne, au milieu d’une forêt de bambous. Huit enseignantes et vingt-deux novices vivaient là, dans deux pièces recouvertes de six tatamis et dépourvues d’électricité. Vivant dans un espace très restreint, elles se nourrissaient frugalement et disposaient de peu de livres.

De plus en plus de femmes se mirent à fréquenter le temple de Nagoya bien qu’il fût loin de tout, et Hori Mitsujo commença à se rendre dans un temple des alentours : elle venait chaque jour prier Kannon en vue d’un miracle permettant d’agrandir les locaux de la communauté. Un jour, un homme fortuné lui demanda quel genre de miracle elle attendait. Il lui offrit un terrain et des matériaux de construction. Les nonnes construisirent elles-mêmes leur école, qui fut détruite par un typhon en 1912, puis par un raid aérien en 1945. Les deux années suivantes, les nonnes furent unsui (nuages et eaux), privées de maison en attendant que se termine leur nouvelle construction.

Une nonne du nom de Kojima Kendo entra à l’école de formation de Nagoya. En 1925, Kojima, qui avait été ordonnée à l’âge de 12 ans, fut la première nonne à entrer à l’université de Komazawa, l’université Soto des enseignants supérieurs du zen.

« Nous ne permettrons pas au flot de l’histoire de nous arrêter et de nous laisser dans notre situation actuelle. Nous autres, femmes de monastère, nous devons aussi nous réveiller de notre sommeil profond. Nous devons réussir à atteindre notre destin premier. »

Kojima Kendo fut directrice de la Pan Japanese Buddhist Nuns Association qui avait pour devise :

Brillant comme le soleil Pur comme le lotus en fleur Le bien-être véritable Vient de la compassion De la sagesse De la libération

Elle voyageait debout, en train, des journées entières pour se rendre à de nombreuses rencontres et n’hésitait pas à taper du poing sur la table. En 1945, les conditions commencèrent à changer. Les femmes purent choisir parmi leurs disciples les héritières du Dharma et obtinrent l’égalité des diplômes. Elles purent se vêtir de robes aux couleurs appropriées et voter pour les questions de l’école Soto. Elles obtinrent le droit d’être élues à la tête d’un temple principal, ce qui était particulièrement important car cela signifiait qu’elles étaient soutenues par des laïques et disposaient désormais de ressources financières. Kojima Kendo fut la première nonne autorisée à diriger une cérémonie à Eihei-ji, au 700e service de la commémoration d’Ejo, mais il fallut attendre 1980 pour cela.

Aoyama Shundo, qui a écrit une demi-douzaine de livres sur le zen, dont Quiet Talk on Zen Tea, est devenue la nonne la plus célèbre au Japon. Elle devint abbesse à l’âge de 37 ans, et dirigea à Nagoya un institut formant les nonnes à l’enseignement supérieur du zen. Elle-même a consacré 15 ans à l’étude du zen. (voir une interview et une vidéo)

La journée typique des femmes de ces trois monastères se déroule ainsi :

4 h 00 : réveil
4 h 15 : zazen
5 h 00 : chant des sutras du matin
6 h 15 : nettoyage quotidien du monastère
7 h 30 : petit déjeuner
8 h 00-12 h 00 : cours, samu ou étude personnelle
12 h 00 : déjeuner
12 h 30-15 h 00 : cours, samu ou étude personnelle
15 h 00 : thé
16 h 00 : chant des sutras du soir
16 h 30 : nettoyage du dojo
17 h 30 : yakuseki, les restes du déjeuner
18 h 00-20 h 00 : étude personnelle
20 h 15 : zazen du soir
21 h 00 : extinction des feux

De nombreuses femmes sont devenues nonnes au Japon au début de ce XXIe siècle. Elles sont à la recherche d’une vie plus profonde et plus riche de sens. Les écrits des nonnes de l’Inde antique (interprétés dans le Terigatha), du Japon moderne et des nonnes vivant maintenant en Europe et en Amérique possèdent une même qualité de recherche qui ne saurait être prise pour un désir de fuir la société.

« Elles y ont vu le moyen d’atteindre la réalisation de soi et y ont trouvé un champ plus large et plus intense où exercer leur activité mentale. Elles savaient que c’était cette vie-là qu’elles voulaient vivre avant tout. Le renoncement est considéré comme un privilège qui apporte également la liberté, la connaissance et la paix » (Terigatha).

Pour des femmes de tous pays et de cultures très différentes, la vie de nonne est riche de sens et les femmes continuent à contribuer de façon significative à la vie religieuse japonaise. En fait, pour de nombreux bouddhistes laïques, les nonnes Soto sont de véritables « trésors vivants » personnifiant le Dharma. De l’époque du Bouddha Sakyamuni, en passant par le premier bouddhiste ordonné au Japon au VIe siècle, jusqu’aux nonnes d’aujourd’hui, l’histoire des nonnes est riche de pertes et de succès, dans la dévotion à la Voie du Bouddha.

+ Les informations contenues dans cet article proviennent du livre de Paula Kane Robinson Arai, Women Living Zen, Japanese Soto Buddhist Nuns, Oxford University Press, 1999.

(Traduction française : Élise Poquet)

 

Haut de page | Accueil | © Bouddhisme au feminin le magazine des femmes bouddhistes sur le net